Moïse

Hier j’ai rencontré Moïse. Pas l’inventeur des croisières sur le Nil en panier d’osier. Un homonyme. J’ai fait sa connaissance dans le couloir du service d’hématologie où j’avais rendez-vous pour la première fois avec Hémato3 (grâce à la bienveillance de @boutonologue). Pas vraiment fait sa connaissance en fait, j’attendais qu’une des 4 secrétaires veuille cesser son pépiage pour s’occuper de moi. Moïse était juste à côté, parlant à une dame âgée qui se plaignait de ne pas y arriver. C’était un grand black d’un âge indéterminé, antillais si j’en jugeai à son accent. Le format impressionnant, il était penché sur la petite dame et commençait à l’engueuler gentiment. Mais fermement. Par des regards furtifs que je réserve d’habitude à l’étude rapide de la plastique des dames que je croise, j’essayais désespérément de lire un nom sur sa blouse et surtout une fonction. Très docte, il pouvait passer pour un confrère. Rappelé à la réalité par le réveil brutal d’une secrétaire, je cessais mon espionnage indiscret et oubliais ce géant irrité.

Je fus orienté une fois accomplies les laborieuses démarches administratives vers une salle d’attente bondée. Il ne manquait que la musique pour jouer aux chaises musicales. Le nombre de chaises scrupuleusement inférieur d’une unité au nombre de personnes (malgré les va et viens) l’aurait permis. Au bout d’une demi-heure d’attente, le géant noir pointa sa silhouette à travers la porte et nous dit : « alors, vous ne reconnaissez pas Papa ? Vous ne lui dites pas bonjour ? » Nous fûmes deux à dire « bonjour Papa ». Le géant roula des yeux, se précipita dans la salle et dit en élevant la voix : « qui a dit ça ? » J’eu alors une pensée fugace pour le héros du roman (puis film) « Le Roi d’Ecosse », jeune médecin confronté aux caprices d’Idi Amin Dada. L’impression aussi que les problèmes sanguins n’étaient plus les plus urgents. Deux petits « moi » s’élevèrent de ma bouche et de celle de mon voisin. « Ah, c’est bien ! Je suis Moïse ». Tout était dit.

Je vis un sourire tendre naître sur le visage des autres patients, manifestement plus habitués des lieux. Moïse enchaîna : « Qui veut un café, je le fais là ? ». Deux ou trois habitués levèrent le doigt. Il me fixa d’un regard interrogateur : « pas de café ? ». Je me cru presque obligé d’en commander un pour faire plaisir à Papa. Mais non. Cinq minutes après il revint avec tout ce qu’il faut et maugréa des propos indéterminés à quelqu’un sur sa capacité à sucrer son café sans sa fille. Il proposa aux autres de l’eau, ou un punch. Je dressai l’oreille et au moment où il passa la porte j’osai : « c’est sérieux le punch, pacque moi ça me dit « . Il se tourna vers moi et dit : « non, y’en a plus ». Et je me mis à rire. Gentiment. De la fantaisie de ce colosse.

Je n’ai pas compris quelle était exactement la fonction de Moïse. Je sais juste que dans cet univers affairé et glacial qu’est une consultation externe d’Hématologie, ce personnage à la fantaisie bourrue fit surgir l’Humanité rayonnante dans cette salle d’attente. Nous devenions les hôtes d’un lointain cousin qui nous recevait en maugréant mais dans le plus profond respect des lois de l’hospitalité et de ses parents.

 Merci Moïse de m’avoir aidé à affronter la suite

5 réflexions sur “Moïse

  1. Peut-être que Moïse est un ange. Peut-être qu’il est auxiliaire de vie. Peut-être qu’il est visiteur médical reconverti en aide-soignant. Peu-être un peu tout ça. Peut-être rien de tout ça. En tout cas, c’est bien qu’il soit là.


  2. ce qui frappe c’est effectivement l’exubérance du perso dans un endroit où on imagine que tt le monde est silencieux et refermé sur lui même.

Laisser un commentaire